« C’est quoi ça ? Une cassette ! Mais c’est quoi une cassette ? »

Je m’apprête à expliquer que c’est comme un disque : on peut écouter la musique ou le son enregistré. J’en ai gardé quelques-unes, elles font partie de mes objets souvenirs : une époque, une ambiance, une façon de relativiser.

Et puis, et puis… Les images remontent, comme la vase verte que les pieds ont remuée dans un étang. Les crayons coincés dans l’un des deux trous des cassettes pour rembobiner ; la bobine, justement, quand elle se dévidait inopinément et risquait de s’abîmer, rendant la musique inaudible. Les irisations légères des bandes. Le cas où la bande était abîmée par le lecteur lui-même. Les petits drames du quotidien.

La cassette, c’est toute une époque, celle de mon adolescence, les années 90. Le walkman, alias le baladeur. Était-il auto-reverse ?  On écoutait Cabrel : forcément, je viens du Sud-Ouest… Un peu trop fort sans doute. On essayait parfois de détacher les écouteurs du casque pour écouter avec une copine la chanson qu’on voulait partager : des bons moments et un mauvais son. « J’irai dormir chez la Dame de Haute-Savoie » !

À vrai dire, dans notre coin de campagne écrasée de soleil, on était encore un peu dans les années 80. Leur côté strass paillettes et autres couleurs saturées s’attardent encore l’hiver, dans nos manteaux polaires, nos coiffures, les coques des cheveux des filles, les pantalons de synthétique simili pattes d’éph. Nostalgie des années 70 ? Notre espérance est violente, mais le sentiment d’usure que ressentent nos parents, confrontés au chômage de masse, nous traverse, par moments.

Je crois que je perçois, à des années de distance, l’espoir d’un avenir que portaient ces jeunes que nous étions. Une quasi douleur de l’attente, de l’espoir violent dans la suite. Le présent ne nous satisfait pas. Nous aussi, comme cette bande de terre du sud en déshérence, nous attendons la suite : nous sentons bien que nous n’en resterons pas là, que le monde et ses logiques propres vont nous aspirer. À nous d’y mener notre barque. 

Où sont-ils à présent ces jeunes ? Ils ont 40 ans, ou plus. Je me souviens de visages, de silhouettes, de façon diffuse. Quelques noms, il m’en manque. Ils avancent encore dans la vie, j’espère, riches de ce passé solaire ? Dans ce pays perdu, entre adieu à l’enfance et entrée dans la vie de jeune adulte, nous avons fait le plein de soleil, de sensations vives, d’étrangeté des destins.

 

Aujourd’hui encore, je suis touchée par les jeunes gens pleins d’espérance, de vouloir-vivre. C’est à la fois un sentiment grisant et exaspérant, qui énerve les constitutions les plus solides, c’est ce vers de Guillaume Apollinaire :

Comme la vie est lente,

Et comme l’Espérance est violente

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Lug, il nous faut célébrer !