La Méthode d’Alain

On entre parfois dans une œuvre ou une pensée sans savoir ce que l’on y cherche exactement, mais avec l’intuition qu’on y trouvera quelque chose. En lisant Alain et en écoutant, presque par hasard, l’écrivain Julien Gracq évoquer ses souvenirs de sa classe de philosophie — où Alain fut son professeur — j’ai été intéressée par son témoignage, entendu sur le site de l’Association des Amis d’Alain. Il me semble qu’il y a là une méthode d’enseignement qui ressemble fort à un partage. Je vous en livre ici un extrait, suivi de quelques réflexions.

JULIEN GRACQ

« (…) l’autre chose qui me surprenait beaucoup, je venais de province, c’était que la cloison entre la philosophie et la littérature sautait. On expliquait chaque année un philosophe, ça devait être Hegel, et puis, en même temps, on expliquait un écrivain : c’était Balzac cette année-là. On passait de l’un à l’autre, on s’habituait à faire sauter les cloisons scolaires ou universitaires qui les séparent. Alors c’était extrêmement excitant. Il y avait un élément de nouveauté qui, pour moi, était tout à fait frappant, et puis il y avait chez Alain l’image d’un homme complet : c’était un… pas un colosse, mais enfin, c’était un personnage grand, puissant…un Normand ; il avait fait la guerre ; il donnait une impression de présence physique tout à fait considérable, et puis d’un énorme équilibre aussi. Oui, il était solide sur ses jambes et il donnait l’impression d’être à peu près inébranlable, en n’importe quelles circonstances. Alors, c’était à la fois un professeur remarquable, un virtuose, un penseur aussi, mais c’était aussi un type humain assez exemplaire ; ça m’a frappé. »

Dans le précieux extrait sonore disponible sur le site de l’Association des Amis d’Alain, https://philosophe-alain.fr/articles_sur_alain/des-auteurs-ont-dit-sur-alain/, Julien Gracq explique comment commençaient les cours d’Alain : les élèves inscrivaient quelques citations qui les avaient particulièrement marqués sur le tableau noir de la classe. Alain entrait et commentait ces phrases qui n’avaient pas forcément de lien entre elles. Il commençait donc par “une improvisation”, sorte de seuil liminaire annonçant, je crois, la couleur : une pensée vivante qui s’élabore au contact des autres, du monde, et ne s’approprie pas, dans une logique exclusive, des éléments de philosophie. Un bel exemple, une méthode inspirante, cela peut donner envie d’essayer ! À chacun de trouver le geste qui ouvre un espace mental différent, ne serait-ce que pour un instant.

Ce souvenir de Julien Gracq dessine les contours d’une pédagogie vivante, fondée sur l’écoute, la liberté et le mouvement, avec ce petit effet de seuil, ce rituel initial qui donne le signal. Alors ? En route !

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