Ce qu’une langue étrangère fait à la voix
Un souvenir est resté gravé en moi : il y a un peu plus de vingt ans, je devais présenter une analyse de texte en anglais. Le professeur m’a fait remarquer combien ma voix changeait lorsque je parlais dans la langue de Shakespeare. Plus aigüe assurément, plus rapide peut-être. Effet du stress ? Sans doute bien sûr, mais pas seulement. Je remarquai alors que les différentes langues étrangères que je pratiquais influençaient ma voix : plus grave qu’à l’ordinaire en allemand, avec un débit légèrement plus lent, ou encore plus changeante en russe, tantôt grave, tantôt quasi chantante. J’ai adoré remarquer cela, et cet effet continue à me donner beaucoup de plaisir et de joie quand je continue à apprendre et pratiquer des langues.
J’en suis venue à penser que nous pouvions, en quelque sorte, changer de peau, de personnage, le temps d’une pratique linguistique. Une fois la langue maternelle retrouvée, comme une paire de chaussures particulièrement belles et confortables, l’effet de changement demeurait, comme une rémanence subtile, à peine palpable, mais néanmoins présente. La langue pratiquée quelques secondes, minutes, jours auparavant, persistait à me nourrir de son énergie émotionnelle propre. Il me semblait, il me semble encore que l’allemand m’ancre, m’apaise et me donne une assise dont j’ai besoin. Le russe m’apporte une énergie d’affirmation et une audace créative.
Peut-être que chaque langue porte en elle une histoire au long cours, les modulations et les inflexions d’une manière d’être, une géographie toute physique et sensible qui disent un rapport au monde.
Je crois en la beauté et en l’énergie très spéciales du français, sans pour autant les saisir véritablement. C’est peut-être la langue maternelle qui nous échappe finalement le plus ! J’espère pouvoir transmettre quelque chose de cela à celles et ceux qui me lisent et m’accompagnent de leur joyeuse et saine curiosité.