Lire François Cheng comme on se met en mouvement

Plongée dans une Chine immémoriale et blessée : lire François Cheng comme on entre en mouvement

À propos des romans Le Dit de Tianyi et L’Éternité n’est pas de trop

« On prend le pouls de l’énorme corps qu’est la Chine » — François Cheng

Il y a des œuvres qui nous dépaysent, et d’autres qui nous déplacent. Les romans de François Cheng font les deux à la fois : ils nous plongent dans un univers chinois profondément ancré dans la matière du monde — ses paysages, ses senteurs, ses gestes — tout en provoquant une véritable mise en mouvement intérieur. Lire Le Dit de Tianyi ou L’Éternité n’est pas de trop, c’est entrer en résonance avec une Chine vivante, traversée par le Souffle, mais aussi blessée dans sa chair.

Une Chine en marche : l’immersion par les paysages et les corps

Chez Cheng, la géographie n’est pas un décor, elle est un personnage. Le fleuve Jaune et le Yangzi ne sont pas de simples noms de rivières, ils incarnent deux pôles symboliques : l’un ancré dans la tradition confucéenne, l’autre dans la pensée taoïste. Le lecteur suit les personnages au rythme de leurs longues marches, comme un médecin prendrait le pouls d’un corps malade. La Chine devient un « immense corps vivant », traversé par des souffles contradictoires : beauté immémoriale et blessures politiques, spiritualité profonde et injustices sociales.

Les realia : ancrer l’univers dans la texture du quotidien

François Cheng nous offre une Chine sensorielle, presque tactile. On y goûte le thé aux chrysanthèmes, on entend le cliquetis du mah-jong, on voit les couleurs vibrantes des plats et on sent le croquant des graines de pastèque. Ces détails — qu’on appelle realia — ne sont jamais gratuits. Ils sont les portes d’entrée vers une culture millénaire, à la fois quotidienne et sacrée. À travers eux, Cheng tisse un roman gourmand, délicat, où la mémoire du corps devient langage.

Un roman comme carte et boussole

Le Dit de Tianyi retrace un parcours initiatique au cœur de la Chine moderne, marqué par la guerre, l’exil, et les grandes convulsions du XXe siècle. Mais derrière le récit politique, c’est une autre carte qui se dessine : celle de l’âme en quête de vérité. L’Éternité n’est pas de trop poursuit ce chemin avec une intensité amoureuse bouleversante, où l’on voit comment les traditions (familiales, sociales, spirituelles) peuvent à la fois nourrir et étouffer.

Une tradition romanesque chinoise revisitée

François Cheng s’inscrit dans la lignée des grands romans chinois classiques — Au bord de l’eau, Le Rêve dans le pavillon rouge — tout en dialoguant avec la littérature occidentale : Stendhal, Proust, Pascal. Il tisse ainsi un pont entre deux continents littéraires, entre Orient et Occident, dans un souffle résolument moderne. Son œuvre est traversée par une temporalité fluide, nourrie des fêtes traditionnelles, des légendes populaires, des figures du lettré ermite ou du bandit généreux.

Lire François Cheng aujourd’hui, pourquoi ?

Parce que sa Chine est aussi la nôtre. Une Chine blessée, oui, mais traversée d’énergies de renaissance. Ses romans nous enseignent l’art de voir, de ressentir, de guérir. En ces temps de grande confusion, ils offrent un refuge, une initiation, une invitation au voyage intérieur.

 

Elisabeth, avril 2025

📌 Retrouvez l’univers évoqué dans cet article en vidéo ici : https://youtu.be/2UOkWgdYUf0?feature=shared

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