Brume et Lumière : un viatique pour Juin
En ce premier juin 2025, j’ai eu envie, de bon matin, d’écrire sur ce mois, son sens depuis les temps anciens jusqu’à nos jours. En cherchant ici et là, j’ai glané mille informations que chacun pourra facilement retrouver. J’en fais une petite synthèse en ajoutant ma touche personnelle, l’humeur du jour, tel un propos du Montagnard, comme dans le journal du même nom.
Le mois de juin, le sixième de notre calendrier, s’appelle ainsi en l’honneur de L. Junius Brutus, premier consul de Rome. Mais je préfère l’étymologie peut-être plus fantaisiste que nous livre le poète Ovide : juin serait ainsi nommé en l’honneur de Junon. Cette déesse romaine est reine des dieux et épouse de Jupiter. Protectrice des femmes, elle symbolise le mariage et la fécondité. Plus charmante que le sieur Brutus, peut-être ? Elle n’est pas d’humeur facile, et manifeste même franchement un caractère guerrier. Un point pour Ovide : juin est toujours aujourd’hui considéré comme un mois favorable pour les mariages. Alors, Juin : Lucius Junius Brutus ou Junon ? On trouve les deux étymologies, mais on sait, de façon certaine, que le 1er juin était consacré à Junon Moneta, ainsi nommée comme déesse de la monnaie.
Aujourd’hui, justement, il a plu de la monnaie d’argent : les gouttes d’eau légères semblaient rebondir sur la surface de l’étang. Présage d’abondance ou « vraies richesses » à la Jean Giono ? Les deux, encore une fois ! Je ne trancherai pas : de toutes les façons, c’était très beau.
J’apprends, au passage, que l’on fête Mens le 8 juin, déesse de l’intelligence. Plus qu’une semaine pour se préparer ! Bigre, cela fait court pour les esprits chagrins et bornés.
Quoi qu’il en soit, retenons que ce mois a partie liée avec la jeunesse, la fraîcheur, l’adolescence. Peut-être Rimbaud s’en souvient-il dans ses Cahiers de Douai, recueil de poèmes recopiés en 1870, comme dans « Roman » dont on connaît souvent le si joli premier vers,
On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. – Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants ! – On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits, – la ville n’est pas loin, –
A des parfums de vigne et des parfums de bière…
Les tilleuls, le printemps, juin, la jeunesse adolescente propice aux parties de bocks bien remplis de houblon : Rimbaud nous offre une pièce emblématique du mois de juin. La lire, c’est donc raviver les sensations, la légère ivresse de cette saison. Ce poème balance aussi, sur la fin, entre deux possibles : la rencontre romantique, les premières amours enthousiastes et une légère distance, presque moqueuse. Or, juin est placé sous le signe du double, justement ! Les fameux Gémeaux, signe mutable, signe miroir.
Les jours s’allongent, les nuits raccourcissent : bref, c’est le mois de Lugh/Bélénos, dans la pensée celtique, car ce dieu incarne les attributs du Soleil : rayonnement, chaleur, santé et vie. Or, le soleil représente le cœur, le centre autour duquel tourne tout le reste. La pensée chrétienne s’en souviendra en liant ce mois au Sacré-Cœur, dévotion au cœur de Jésus, à la fois transpercé, meurtri par la lance d’un soldat romain, et transfiguré par le feu de l’amour divin. Juin, sixième mois, serait donc une période pour faire le point, une pause subtile, à l’opposé des sessions effrénées d’examens et autres concours ! Après un temps d’épreuves, un temps de recueillement et de dépassement peut-être, avant la période vitale des moissons.
En tous les cas, le soleil descend sur terre et nous offre ses rayons brûlants et joyeux grâce aux feux de la Saint-Jean. Fête de grands feux de joie, comme un morceau de Soleil sur la Terre, accordant lumière, chaleur, force aux hommes et aux bêtes, et éloignant les esprits mauvais. En effet, cette fête, désormais dédiée, pour la christianiser (!), à l’apôtre Jean, se souvient de son divin patron celtique, le Resplendissant Bel (pour Bélénos), qui gouverne plus les groupes, les communautés, que les individus. C’est un appel aux fêtes collectives qui scandent les temps, les travaux et les jours, et ressoudent une communauté sans cesse menacée par le chaos. Le feu de la Joie peut tout ! Encore en 2025.
Le solstice d’été peut arriver, promesse de futures récoltes, si tout va bien, si le soleil s’est mêlé à une douce pluie, en particulier la brume, typique de ce mois de juin que nous imaginons aujourd’hui, à tort, comme intégralement solaire. En attendant, écoutons Moustaki chanter sa « chanson du mois de juin » :
« et les dieux libertaires s’amusaient à danser »
De liberté, il en est question, dans notre histoire, précisément en juin : ardeur, passion, conviction. Ce sont les journées de juin 1848, l’appel du 18 juin 1940 comme « instinctive volonté » (De Gaulle, Mémoires de guerre, 1956).
Retenons donc le soleil, le cœur, la jeunesse, le tout mâtiné de brume bienfaisante et de poèmes :
« Parfumez bien le cœur
Qui va goûter la vie ».
« Juin », Charles Marie René Leconte de Lisle